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l’annonce que la France avait refusé son adhésion aux bases de séparation, fit pencher la balance en faveur de Nemours[1]. Quatre-vingt-dix-sept voix se prononcèrent pour lui contre soixante-quatorze à Leuchtenberg. Vingt-et-une s’égarèrent sur le nom de l’archiduc Charles.

En se donnant ainsi « un roi au scrutin[2] », le Congrès ne se doutait pas qu’il votait dans le vide et qu’à l’avance sa décision était frappée de nullité. Le 1er février, la Conférence avait arrêté « qu’au cas que la souveraineté de la Belgique fût offerte à des princes des familles qui régnent en Autriche, en France, dans la Grande-Bretagne, en Prusse et en Russie, cette offre serait invariablement rejetée ». Communiqué quelques jours plus tard par lord Ponsonby au Comité diplomatique, ce protocole fut pour le Congrès « comme un coup de foudre ». Il était seulement le châtiment de son imprudence et celui de la duplicité de Louis-Philippe. La députation qui partit pour Paris le 18 février s’abandonnait encore pourtant à un dernier espoir. Le roi la reçut sans doute avec une honte secrète, qu’il dissimula sous des effusions sentimentales. La dure nécessité de conserver la paix l’obligeait, dit-il, à refuser la couronne destinée à son fils. Le repos de l’Europe était à ce prix. Il aurait pu ajouter qu’il en était de même de la solidité de son trône. En somme il avait atteint son but : Leuchtenberg était écarté et le bonapartisme dépité. Il n’avait jamais sérieusement voulu autre chose.

Son refus plaçait la Belgique dans une situation tout à la fois ridicule et terrible : ridicule, parce qu’après avoir passé outre avec tant de désinvolture aux remontrances de la Conférence, on se voyait sacrifié à elle par cette France dont on avait tout attendu ; terrible, parce que ce cuisant échec enlevait au Congrès, démoralisé et discrédité, la force de continuer plus

  1. Sur les intrigues de Bresson voy. Gedenkstukken, loc. cit., t. II, pp. 156, 166, et surtout, dans les Mémoires de Guizot, t. VIII, p. 206, la lettre qu’il lui écrivit en 1844 pour expliquer sa conduite. « J’ai pris sur moi, dit-il, une immense responsabilité : j’ai fait élire M. le duc de Nemours, et je n’hésite pas à reconnaître que je l’ai fait sans l’assentiment du roi et de son ministre ».
  2. Expression de Lebeau, Souvenirs, p. 120.