Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quait déplorablement. On comptait sur l’inexpérience et la naïveté du Congrès pour l’empêcher de voir qu’il était manœuvré et qu’en élisant un roi des Belges, ce serait à vrai dire pour ou contre le roi des Français qu’il voterait.

Il est pourtant assez compréhensible que l’opinion ait accepté les noms que les intrigues parisiennes lui suggérèrent. La constitution élaborée par le Congrès réduisait à ce point le pouvoir royal que les qualités personnelles du souverain à élire semblaient chose tout à fait négligeable. Qu’importait-il que le roi fût incapable de gouverner puisqu’on ne lui demandait que de régner ? Le jeune âge des candidats ne pouvait déplaire à des gens qui concevaient la monarchie constitutionnelle dont ils avaient fait le régime de l’État, comme une sorte de république. Leur origine française les recommandait plus fortement encore. Si bizarre que cela puisse paraître, on y voyait une garantie pour l’indépendance du pays. Il y avait bien parmi les révolutionnaires un groupe d’hommes qui eussent envisagé avec faveur l’annexion de la Belgique à la France. Il est même probable que c’est leur groupe, en relations constantes avec les cercles politiques de Paris, qui prononça tout d’abord les noms de Nemours et de Leuchtenberg[1]. Mais l’immense majorité des Belges ignora complètement ces arrière-pensées. Pour eux, seul un prince français pourrait les protéger contre le péril d’une restauration. On se défiait de l’Europe ; on s’attendait à une guerre générale et si elle éclatait, il était trop évident que la Belgique ne pourrait s’appuyer que sur la France. Or, la France, croyait-on, était invincible. Combattre avec elle ce serait donc remporter à ses côtés une victoire qui consacrerait définitivement l’existence du pays.

Mais si les patriotes s’accordaient en ceci, ils cessaient de s’entendre sur le choix à faire entre les deux princes qu’on leur proposait. Leuchtenberg, en vertu de sa naissance, plaisait davantage aux anciens soldats de Napoléon et à tous ceux qu’enthousiasmaient les principes démocratiques dont se récla-

  1. D’après Stuart, l’ambassadeur anglais à Paris, Gendebien aurait suscité la candidature de Leuchtenberg dès avant le 1er novembre 1830. Gedenkstukken, loc. cit., t. II, p. 92.