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bienveillance des Puissances absolutistes, ne pouvait cependant risquer de se brouiller avec elles en mettant le feu à l’Europe. Il était d’autant plus incapable d’agir que son peuple ne le soutenait pas. Sauf de très rares exceptions, les Hollandais en avaient assez de l’« amalgame » avec les Belges. On voulait bien donner une leçon à ces « émeutiers » et venger l’honneur militaire si compromis depuis les journées de septembre, mais c’en était fait de toute velléité de rétablir le royaume. Lui-même d’ailleurs, Guillaume se rendait bien compte qu’il était trop tard pour en revenir au passé. Il ne se préoccupait que de l’avenir de sa dynastie. Il se fût contenté de la séparation administrative des deux parties de l’État, voire même de l’autonomie de la Belgique, à condition qu’il eût continué de régner sur elle[1].

Du côté des Belges, la question était si compliquée, qu’à première vue elle paraissait insoluble. Sans se préoccuper des convenances de l’Europe, ils avaient marché de l’avant en enfants terribles. Dès le 18 novembre 1830, alors que la Conférence délibérait déjà depuis quinze jours, ils avaient proclamé leur indépendance, puis imperturbablement fixé et introduit dans leur constitution les limites de leur État révolutionnaire et exclu du trône la maison d’Orange-Nassau. Ils avaient agi, dans leur faiblesse, comme l’avait fait dans sa puissance, à la fin du xviiie siècle, la Convention Nationale de France. Leur Congrès semblait se croire « investi de la dictature européenne »[2]. Avec une outrecuidance naïve il s’imaginait que tous les peuples confondaient leurs applaudissements avec ceux que lui donnaient les républicains de Paris. Tout à fait ignorant des réalités de la politique étrangère, il se tenait pour assuré en tous cas de l’appui de la France ;

  1. Voy. dans Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland, van 1795 tot 1840, 10e partie, t. III, p. 451, ses curieuses confidences à Gourieff. Il voudrait établir entre la Hollande et la Belgique des relations analogues à celles de la Russie et de la Pologne, ou de la Suède et de la Norwège. Il accorderait alors au prince d’Orange la vice-royauté de la Belgique « qui prendrait le titre de royaume de Bourgogne ». Mais il repousse toute idée d’un État belge séparé, même sous un prince de la maison de Nassau.
  2. J. Lebeau, Souvenirs personnels, p. 201 (Bruxelles, 1883).