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lution de 1830, l’opposition était trop flagrante pour que le plus puissant des deux s’abstînt de faire violence au plus faible. Pour un gouvernement qui venait d’anéantir la liberté politique, l’existence à ses flancs d’un gouvernement dont cette même liberté constituait le principe fondamental apparaissait non seulement une provocation, mais un danger.

De même qu’en 1815 la Restauration avait fait de la Belgique le refuge des bonapartistes français[1], de même le pays avait vu affluer, après les journées de juin 1848, quantité de socialistes et de révolutionnaires, qu’avaient bientôt suivis les libéraux, les parlementaires, les orléanistes et les républicains bannis après le 2 décembre ou volontairement exilés en haine du despotisme. Ouvriers inconnus, orateurs, penseurs ou écrivains y avaient cherché un asile qui leur permît de vivre en attendant la revanche. On avait vu passer par Bruxelles ou s’y établir à demeure, Thiers, Changarnier, de Haussonville, Lamoricière, Duvergier de Hauranne, Madier-Monjau, Rémusat, Paul Deschanel et quantité d’autres. Victor Hugo et Proudhon s’y installaient un peu plus tard, et dans toutes les grandes villes leurs compatriotes étaient nombreux. La plupart sans doute menaient une existence ignorée et paisible. Les plus instruits faisaient des conférences ou donnaient aux journaux une collaboration littéraire dont le succès leur attirait et faisait rejaillir sur leur cause les sympathies du public. D’autres enfin alimentaient une campagne de presse contre l’Empire. L’Étoile Belge devenait l’organe des rancunes de la bourgeoisie orléaniste. Plus fougueux et plus violents, les républicains et quelques socialistes déversaient l’injure sur l’usurpateur des Tuileries dans de petites gazettes éphémères : Le Messager des Chambres, Le Bulletin Français, La Nation, Le Méphisto, Le Sancho, Le Prolétaire, Le Crocodile, La Rive Gauche, avant-coureurs obscurs que devait éclipser quelques années après la fameuse Lanterne de Rochefort.

Si peu lus que fussent ces journaux, leur publication causait à Paris un énervement extraordinaire. Dès le mois de janvier 1852,

  1. Histoire de Belgique, t. VI, p. 281 et suiv.