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elle n’abuserait pas de leur confiance. La personnalité du roi et ses alliances de famille avaient quelque peu amélioré la situation et, en 1840, l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la France, puis, en 1844, le traité de commerce avec le Zollverein avaient momentanément rassuré l’Angleterre et la Prusse. Néanmoins, quand éclata à Paris la révolution de février 1848, nul ne douta que la Belgique ne dût être entraînée dans la tourmente ou qu’elle ne s’y précipitât d’elle-même.

Avoir pu y résister, avoir pu surtout, au milieu d’une Europe bouleversée, conserver un calme imperturbable dans le fonctionnement régulier de ses institutions et le maintien rigoureux de sa neutralité, la para d’un prestige universel. Elle s’imposa tout ensemble à l’admiration des souverains aux abois et des peuples en révolte. Sa constitution parut tout à coup un miracle de sagesse, puisqu’elle conciliait les nécessités de l’ordre avec les aspirations de la liberté. La concorde civique de la nation attestait l’excellence du régime qu’elle s’était donné. Ce peuple, considéré hier encore comme incapable de vivre, échappait seul à la révolution. Ce petit État, si faible et si véhémentement soupçonné de n’être qu’une mauvaise contrefaçon de la France, veillait loyalement sur son indépendance et faisait de sa neutralité le rempart de l’Europe.

En Angleterre, plus vives avaient été les craintes du public et du gouvernement sur une coopération possible de la Belgique avec la France, plus vif et plus complet fut le revirement. « Notre nationalité, écrit van de Weyer le 5 avril, n’est plus aux yeux de tout le monde une chose factice reposant sur de simples actes diplomatiques, mais une réalité basée sur l’inébranlable volonté d’un peuple qui comprend et pratique ses devoirs envers lui-même et envers les autres. Toutes les préventions qui existaient à cet égard ont complètement disparu. Nous avons, en moins de six semaines, converti les plus incrédules et acquis plus de défenseurs de notre indépendance que ne nous en eussent procuré cinquante années de paisible jouissance des avantages qu’elle nous assure »[1]. En Prusse,

  1. A. De Ridder, op. cit., t. I, p. 345.