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avec l’Europe et surtout avec l’Angleterre en l’autorisant, il louvoye sans oser prendre parti. Si Lamartine assure le prince de Ligne de sa résolution de respecter l’indépendance du pays, il est visible cependant qu’il laisse de soi-disant ouvriers belges préparer ouvertement une expédition à main armée. On n’ignore pas à Bruxelles que le club de la rue Ménilmontant, dont Spilthoorn est le chef, se vante de recevoir de l’argent d’Albert[1] et d’obtenir le parcours gratuit en chemin de fer jusqu’à la frontière du Hainaut, d’où ses membres se dirigeront vers les grandes villes pour les faire s’insurger. On sait qu’à Lille, le commissaire de la République ne se cache pas de souhaiter un coup de force contre la Belgique[2].

Des mesures de précaution sont donc indispensables et il faut se garder d’autre part de toutes marques de défiance ou d’hostilité qui pourraient froisser la susceptibilité du redoutable voisin. En même temps que le gouvernement rappelle sous les drapeaux les miliciens en congé, arme les forteresses de la frontière, décide de demander aux Chambres (16 mars) un nouvel emprunt forcé de quarante millions et accepte avec empressement les avances de la Hollande qui lui propose de s’entendre sur la préparation d’une défense commune, il reconnaît, dès le 3 mars, le Gouvernement provisoire de Paris et, pour gagner ses bonnes grâces, déclare officiellement « qu’il y a moins loin de notre constitution libérale à la forme républicaine, que de cette constitution à l’organisation de la monarchie pure »[3]. Surtout, il s’enveloppe dans une neutralité si scrupuleuse qu’il va jusqu’à gourmander van de Weyer d’avoir eu en Angleterre quelques prévenances de politesse pour Louis-Philippe[4].

L’orage que l’on redoutait éclata à la fin de mars en une bourrasque sans conséquence et sans gravité. Les fameuses

  1. Membre du Gouvernement provisoire de Paris.
  2. A. De Ridder, op. cit., t. I, pp. 109, 138. Sur la conduite de Lamartine, voy. les détails donnés, dans un esprit très hostile, par l’ambassadeur beige, le prince Eug. de Ligne, Souvenirs et portraits, éd. F. Leuridant (Bruxelles, 1930).
  3. A. De Ridder, op. cit., t. I, p. 120.
  4. Ibid., t. I, p.. 351.