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faire à Paris, opposait un front unique tant aux désordres possibles du dedans qu’à une intervention probable du dehors.

Rogier avait dû sourire en recevant de son vieil ami Victor Considérant, alors en mission phalanstérienne en Belgique, deux lettres écrites dans la nuit du 25 au 26 février sous l’impression d’un « enthousiasme lumineux et limpide », qui lui faisait « voir l’avenir comme s’il était déjà de l’histoire ». Le monde était changé. La France allait donner le signal de l’émancipation universelle des peuples. « Demain, avant deux heures de l’après-midi, il y aura dans les rues de Bruxelles cent mille hommes enivrés d’enthousiasme électrique, criant vive la République ! C’est à la Chambre et au château que marchera spontanément ce cortège immense. Vous n’avez qu’un moyen d’apaiser tout par enchantement : c’est de prévenir le mouvement en allant au devant et d’annoncer au peuple que le roi demande lui-même à ce que la nation soit immédiatement consultée… Vous n’avez besoin de consulter personne ; il y a dans la vie des hommes et des peuples, des moments décisifs… Si vous songez à opposer une force physique, matérielle, armée à cette force morale, vous êtes perdu et vous perdez tout »[1].

Le roi et ses ministres songeaient aussi peu à recourir à la force qu’à prendre l’initiative de changer le monde. La seule question pour eux était de sauvegarder l’ordre et l’existence de la nation. Le 26 février, en sortant du Conseil pour se rendre à la Chambre au milieu du calme des rues, les prophéties de Considérant en poche, Rogier ne songeait qu’aux mesures de salut public dont il allait saisir le Parlement et à l’accueil que leur ferait l’opposition. L’esprit de parti pousserait-il la minorité catholique à profiter des circonstances pour faire échec au gouvernement ? S’il le craignit, il dut être rassuré au premier coup d’œil. Visiblement, la représentation nationale faisait trêve à ses querelles. L’unionisme ressuscitait sous le souffle du péril commun. Un projet de loi autorisant la perception anticipée des huit douzièmes de la contribution

  1. E. Discailles, Charles Rogier, t. III, p, 232.