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pagnes les remèdes auxquels les administrations urbaines eurent recours : boulangeries communales, distribution de cartes de pain, réfectoires populaires, etc. Le gouvernement, en décrétant la libre entrée des grains, en abaissant les tarifs des chemins de fer pour le transport des denrées alimentaires, en ordonnant des travaux de défrichement dans les landes de la Campine, ne put qu’apporter de bien insuffisants palliatifs à la catastrophe. Il faut remonter jusqu’au Moyen Âge pour retrouver un spectacle analogue à celui qu’offrit alors la « misère des Flandres ». Quantité de malheureux en furent réduits à manger des chiens, des chats, à déterrer pour s’en nourrir des cadavres d’animaux. Le typhus vint ajouter ses ravages à ceux de la famine.

La mortalité est telle qu’à Thielt, durant les cinq premiers mois de 1848, on relève 1712 décès pour 414 naissances, et qu’à Bruges on ne procède plus aux sépultures que pendant la nuit, de crainte d’épouvanter les habitants. Le paupérisme défie toute description. Les dépôts de mendicité regorgent de milliers d’enfants ; des bandes de mendiants parcourent la région qu’ils terrorisent, pillent les boulangeries, attaquent sur les routes des convois de grains et se répandent dans les villes d’où il faut les expulser de force. Atteinte aux sources mêmes de la vitalité, la race dégénère. La taille des conscrits diminue, la phtysie, le rachitisme font des progrès effrayants. Durant de longues années la population flamande subira les tristes conséquences physiques et morales des souffrances trop cruelles qu’elle a endurées pendant ces années terribles. Si l’excès du malheur ne l’a point poussée à la révolte, c’est qu’elle puisa dans sa foi religieuse et dans les exhortations du clergé assez de résignation pour le supporter[1], et que d’ailleurs, plus ignorant encore et plus inorganisé que le prolétariat urbain, le prolétariat rural était plus incapable de comprendre les causes de sa détresse et d’apercevoir le moyen de les combattre.

  1. L. Hymans, Histoire parlementaire, t. II, p. 519.