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et l’irréligion des villes, les populations rurales gardiennes de la tradition sociale et des vertus catholiques. Leur critique du capitalisme et du prolétariat dont il est le pourvoyeur, les empêche de voir que la situation des artisans ruraux est devenue plus lamentable encore que celle des ouvriers d’usine. Travaillant treize heures par jour dans des conditions d’hygiène et de logement épouvantables, leur salaire est descendu, malgré la cherté croissante de l’existence et la hausse constante des fermages, au niveau de ce qu’il était en 1830. Et à mesure qu’ils s’épuisent et s’appauvrissent, l’inutilité de leur obstination apparaît plus évidente. L’exportation des toiles, qui était encore de 4.577.671 kilogrammes en 1835, n’atteint plus en 1848 que le chiffre de 1.448.485.

L’Association nationale pour le progrès de l’industrie linière, fondée en 1838 en vue de sauver la toilerie des campagnes, confond manifestement le progrès avec la fidélité à un passé révolu. Elle a beau prôner la qualité supérieure que la salive des fileuses donne au fil, affirmer l’excellence des toiles tissées à la main, leur souplesse inaccessible à la machine, la nécessité enfin de préserver l’originalité flamande de l’imitation de l’étranger, ses manifestes qu’inspirent tout ensemble les intérêts de la morale et ceux des marchands de toile agitent l’opinion et le Parlement sans arrêter le cours fatal de l’évolution. Quelques subsides votés par les Chambres ne remédièrent ni à la misère des travailleurs ni au déclin d’une industrie surannée. En 1844, l’Association nationale, convaincue enfin de l’impossibilité de résister à la machine, se résignait à disparaître.

Pour comble de malheur, la crise économique se complique, bientôt d’une crise alimentaire. En 1845, la fameuse « maladie des pommes de terre », qui se prolongera jusqu’en 1850, réduit la récolte de 87 pour cent dans tout le royaume. Puis, l’année suivante « la rouille du seigle » a pour conséquence une élévation formidable du prix du pain, qui passe de 14 centimes le kilo à 40 ou 50 centimes. Si toutes les provinces souffrirent de la disette, pour les districts liniers des Flandres, dont la population surabondante était déjà si cruellement éprouvée, elle fut un véritable fléau. Il était impossible d’appliquer aux cam-