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y a-t-il lieu de s’enthousiasmer sur les bienfaits de l’industrie ? »[1].

Si les progrès du capitalisme ont eu partout pour rançon la dégradation des masses salariées, ils ont en même temps déchaîné sur les Flandres une véritable catastrophe[2]. Comme un rouleau compresseur, ils y ont écrasé sous eux la vieille industrie linière qui, depuis le XVIe siècle, s’était si largement développée qu’elle y paraissait inséparable de l’organisation sociale. Pratiquée à domicile par les innombrables petits fermiers de la région d’après les procédés d’une technique traditionnelle, elle avait survécu sans changement à la disparition de l’Ancien Régime. Au commencement du XIXe siècle, elle occupait encore dans les deux provinces de Flandre Orientale et de Flandre Occidentale, de beaucoup les plus peuplées du royaume, environ 300.000 travailleurs, soit à peu près le tiers des habitants. Grâce à elle, l’indice démographique atteignait dans les districts liniers le chiffre de 250 à 350 par kilomètre carré, alors qu’il n’était en moyenne que de 128 pour le reste de la Belgique. Cependant, aux environs de 1830, les circonstances s’accumulaient d’où devait sortir une crise sans exemple. La perte du marché français à partir de 1815, bientôt après celle du marché des colonies espagnoles et enfin après la Révolution celle du marché des colonies hollandaises, avaient enlevé à la toilerie ses principaux débouchés. Mais plus terrible encore avait été la concurrence des fils et des tissus anglais fabriqués à la machine et dont l’importation, qui n’était encore en 1833 que de 12.269 livres, passe en 1838 à 1.304.920.

Contre l’invasion de ces produits mécaniques la lutte était trop inégale pour les rouets et les métiers à la main. Comme toutes les industries condamnées par le progrès d’une technique nouvelle, la toilerie flamande en fut réduite à combattre le mal en l’empirant. Les marchands qui en achetaient et en exportaient les étoffes, espérant se maintenir par le bon

  1. Enquête, t. III, p. 61.
  2. Il suffira de renvoyer pour ce sujet à l’excellent travail de G. Jacquemyns, Histoire de la crise économique des Flandres de 1844 à 1850 (Bruxelles, 1929).