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chaudes qui s’écoulent des machines d’épuisement des houillères. L’impossibilité de faire des économies pousse la plupart des ouvriers à un point d’imprévoyance qui dépasse tout. La trop grande détresse en arrive au point d’être dégradante. Partout l’ivrognerie, non seulement des hommes, mais des femmes, en est le résultat. À Verviers, on suppute que la consommation d’alcool a augmenté de 46 p. c. de 1833 à 1844[1]. Le seul remède contre l’alcoolisme est l’excès de la misère qui empêche souvent l’ouvrier d’acheter du genièvre[2]. Parmi les femmes et parmi les filles la prostitution est chose courante. Toutes d’ailleurs sont mariées ou se marieront, car « c’est un principe reçu de la classe ouvrière d’avoir le plus grand nombre d’enfants possible, parce que chacun représente un salaire futur »[3]. Dès qu’ils peuvent aller à l’atelier, les parents les y amènent. Dans les filatures de Gand, ils entrent généralement à l’âge de neuf ans, mais beaucoup y arrivent plus tôt. Petits garçons ou petites filles ont la même journée de travail que les adultes : de cinq heures du matin à midi et de une heure à huit heures du soir, en été ; de la pointe du jour à midi et de une heure à dix heures du soir en hiver. Quant aux femmes, à part quelques jours où leurs couches annuelles les retiennent au logis, elles passent leur vie comme leurs maris et leurs enfants, à la fabrique ou à la mine. Il n’est pas d’occupation qu’elles n’acceptent ; on va jusqu’à les employer dans les houillères aux travaux du fond.

Dès lors, on comprend l’abjection intellectuelle des prolétaires. Obligés de gagner leur vie dès l’âge où l’on apprend à lire, presque toujours ils n’ont reçu aucune instruction. On leur permet seulement, quand arrive l’époque de la première communion, de s’absenter de l’usine pour fréquenter le catéchisme. « La grande majorité d’entre eux ne reçoit pas d’autre éducation »[4]. Il y a bien çà et là des écoles du soir, mais comment

  1. B. Appert, Voyage en Belgique, p. 155.
  2. Enquête, t. II, p. 50-57.
  3. Ibid., t. III, p. 89.
  4. Ibid., t. II, p. 40. À Gand, sur mille ouvriers mâles, 850 ne savent ni lire ni écrire. (Ibid., t. III, p. 478). Même situation à Tournai. (Ibid., t. II, p. 135). Plus des deux tiers des mineurs sont complètement illettrés. (Ibid., t. II, p. 227).