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qui a tout fait. Les deux tiers de sa vie sont pénibles ; le dernier est misérable »[1].

De leur côté, beaucoup de catholiques reprochent à l’industrie de démoraliser le peuple par la misère et la rupture de la tradition sociale, et les classes dirigeantes par la prépondérance des intérêts matériels. Religieux et conservateurs, ils s’élèvent avec une telle véhémence contre les méfaits du capital et des machines que le ministre d’Autriche leur reproche dès 1834 « d’offrir à l’Europe le triste spectacle de l’union monstrueuse du catholicisme avec le jacobinisme »[2]. Beaucoup d’entre eux se grisent de la lecture des Paroles d’un Croyant, du moins avant leur condamnation par Rome, et le Journal des Flandres, le Patriote Belge (1835), le Vaderlander placent leur démagogie réactionnaire sous le patronage de l’Église.

Chez la plupart des bourgeois pourtant et des grands seigneurs qu’effrayent ou qu’indignent les conséquences de l’essor capitaliste, l’acceptation des faits s’est bientôt substituée à la velléité de les combattre.

Après 1840, tant chez les catholiques que chez les libéraux, la majorité se laisse entraîner par le courant qui emporte la société. Un petit groupe néanmoins subsiste de part et d’autre, qui, refusant de considérer ce qui est comme ce qui doit être, continue à mener la lutte contre les défauts d’un ordre social dont il lui paraît de plus en plus évident que la bourgeoisie est responsable. Parmi les catholiques, Bartels s’obstine à continuer la propagande démocratique. Mais désavoué par les évêques qui, dès 1838, interdisent la lecture du Journal des Flandres et du Vaderlander, et refusant d’autre part, par conviction religieuse, de s’associer aux disciples de Saint-Simon et de Considérant, il s’épuise vainement en un combat stérile.

Dans le camp libéral, la minorité des partisans d’une réforme sociale forme un groupe dont l’activité peut faire parfois illusion sur le petit nombre. Tous sont des bourgeois, mais des

  1. E. Discailles, Charles Rogier, t. III, p. 44.
  2. A. De Ridder, dans Bulletin de la Commission royale d’Histoire, 1928, p. 354.