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une stupidité criminelle. La bourgeoisie d’ailleurs, la bourgeoisie riche surtout, ne jouissait-elle pas, en vertu de la loi fondamentale, de prérogatives bien plus étendues que celle dont elle jouit en faveur de la constitution belge[1] ? S’il est une vérité bien établie, c’est que l’opposition contre Guillaume ne fut que le résultat de causes morales : mécontentement religieux chez les catholiques, mécontentement politique chez les libéraux, mécontentement national chez les uns comme chez les autres. Les griefs que la bourgeoisie fut seule au début à ressentir et à formuler, elle les communiqua au peuple par la propagande du clergé dans les campagnes, par celle des des clubs et de la presse dans les villes.

Privée de l’appui des masses qu’elle avait gagnées à sa cause, la Révolution eût été évidemment impossible. Sans doute durant les troubles d’août et de septembre, à Bruxelles et dans quelques grandes villes, des bandes d’ouvriers industriels, sous l’aiguillon de la misère, se laissèrent entraîner à piller des fabriques et à briser des machines, et il fallut que la garde civique réprimât des désordres qui menaçaient plus encore le succès de la Révolution, qu’ils n’inquiétaient les propriétaires. Mais il n’y a là que les mouvements confus d’un prolétariat misérable, excité par des agitateurs étrangers et complètement incapable non seulement de formuler un programme de revendications sociales, mais surtout de fonder un gouvernement ou même de coopérer à sa fondation[2]. De Potter lui-même reconnaît que le suffrage universel était irréalisable[3]. On ne voit pas au surplus qu’il ait été revendiqué par personne. Les républicains du Congrès admirent sans protester l’inscription du cens électoral dans la constitution. Il est donc vrai de dire que si la victoire de la Révolution fut nécessairement l’œuvre du peuple, l’organisation de cette victoire devait être nécessairement celle de la bourgeoisie.

À distinguer d’ailleurs à cette époque peuple et bourgeoisie,

  1. Histoire de Belgique, t. VI, pp. 257, 276.
  2. Histoire de Belgique, t. VI, p. 375.
  3. Voy. plus haut, p. 57.