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ANNEXION IMMINENTE DE LA BELGIQUE

elle s’était fait une gloire au début de la campagne et dont il espérait bien tirer parti. Elle se demande, maintenant que la Belgique est conquise, s’il ne serait pas absurde de l’abandonner. Pourquoi renoncer à ce pays que la monarchie s’est efforcée durant tant de siècles d’unir à la France ? La guerre exige que l’on tienne compte des réalités, et c’en est une que la possession d’une contrée qui couvre la frontière du nord et dont la richesse raffermira le crédit ébranlé de la République. Au surplus, qu’est-ce qu’affranchir une nation, sinon la franciser ? Ne vient-on pas de voir la Savoye demander sa réunion à la France et un décret (27 novembre 1792) ne vient-il pas d’exaucer le vœu de son peuple souverain ?

Mais la Belgique n’est pas la Savoye. Elle ne se lasse pas de réclamer cette indépendance que la France lui a promise et qu’elle attend toujours. Le 4 décembre, des députés de Bruxelles, de Mons et de Tournai se présentent à la barre de la Convention. Ils demandent que la nation française s’engage envers les Belges et Liégeois à ne conclure aucun traité « qui ne les reconnaîtrait pas formellement comme peuple souverain ». Le président Barrère leur répondit par des effusions dont la grandiloquence enveloppait une amphibologie inquiétante : « Vous tenez votre souveraineté de la nature, vous ne pouvez la tenir de nous »[1]. Il rappela le décret promettant fraternité et secours aux peuples qui combattaient pour leur liberté. Des applaudissements crépitèrent ; la délégation fut admise aux honneurs de la séance ; on décida d’imprimer les discours que l’on venait d’entendre, mais on ne décida rien d’autre. Les pauvres Belges ne furent pas dupes de cette comédie. Ils continuaient pourtant à affecter une confiance qu’ils n’avaient plus. Leurs actes officiels étaient datés de « l’an premier de la liberté belgique ». Les représentants du Hainaut protestaient à Paris contre un huissier qui, instrumentant dans leur province, l’avait qualifiée de « pays conquis »[2].

  1. Je suis le texte du compte-rendu imprimé par ordre de la Convention. Cf. Ad. Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIIIe siècle, t. II, 2e édit., p. 84 (Bruxelles. 1862).
  2. L. Devillers, loc. cit., p. 280.