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LES JOURNÉES DE SEPTEMBRE

dance mais que, si on les poussait au désespoir, ils n’hésiteraient pas « à se jeter dans les bras d’une puissance voisine ». Ainsi, le sort de l’Europe était à la merci de ce petit peuple obstiné. Car il était évident que si on l’obligeait à s’offrir à la France, la France ne pourrait le repousser. Le cabinet du Palais-Royal envisageait avec terreur la possibilité d’un tel coup de tête. « Ces malheureux Belges, soupirait Madame Adélaïde, ne craignent pas la guerre »[1]. Mais autour d’eux, tout le monde la craignait et, sauf le tsar qui se déclarait décidé à envoyer une armée dans les Pays-Bas, personne n’osait prendre la responsabilité d’une catastrophe universelle. En vain Guillaume avait-il témoigné, le 18 octobre, devant les États-Généraux, sa confiance dans l’appui des alliés, en vain Thorbecke s’efforçait-il de démontrer que l’indépendance de la Belgique serait « la fin de l’Europe ». Dès le 10 novembre, Wellington déclarait à van de Weyer que l’Angleterre n’interviendrait pas, sauf pour empêcher la réunion du pays à la France, et trois jours plus tard, à Paris, devant la Chambre des députés, Bignon sommait les monarques de la Sainte-Alliance de respecter le droit des Belges de choisir leur gouvernement, et de ne pas se mêler d’une affaire qui ne concernait que ceux-ci.

L’attitude des Puissances occidentales, en écartant la menace d’une intervention armée, assurait donc momentanément la victoire de la révolution, et faisait présager la reconnaissance par l’Europe de l’indépendance nationale que le Gouvernement provisoire avait affirmée dès le 4 octobre. Il était dur sans doute d’accepter l’armistice imposé par la Conférence, de laisser Maestricht, Luxembourg et la citadelle d’Anvers aux mains des Hollandais et, en évacuant la Flandre Zéelandaise, de renoncer à l’espoir d’appuyer la frontière à l’Escaut Occidental. Mais outre que le peuple, qui n’avait pris les armes que pour s’affranchir, se montrait impatient de les déposer, c’eût été une faute impardonnable que de se confiner dans une intransigeance qui eût été une provocation à l’égard

  1. Talleyrand, Mémoires, t. III, p. 464.