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LA LANGUE FRANÇAISE

par tous les députés belges mais encore par bon nombre de députés hollandais, désireux de donner à leurs collègues cette marque de courtoisie[1]. Quant à la presse, tous ses organes, ceux du gouvernement aussi bien que ceux de l’opposition, n’employent pas d’autre langue. C’est tout au plus si, avant la grande agitation politique de 1828, une petite gazette locale ou une feuille d’annonces paraît çà et là en flamand. Dans les provinces flamandes et plus encore à Bruxelles, les jeunes gens des classes supérieures sont élevés dans l’ignorance complète de la langue nationale. Un séjour à Paris est le couronnement de toute bonne éducation. Le collège des jésuites de Saint-Acheul regorge d’élèves belges. Quantité de parents se contentent par économie, d’envoyer leurs fils aux athénées et aux collèges des provinces wallonnes, à Tournai, à Namur, à Liège[2]. Bref, pour qui n’envisage que la surface des choses, la Belgique apparaît désormais un pays de langue française. Toute la bourgeoisie, d’un bout à l’autre du territoire, présente le même spectacle. Il n’y a plus de frontière linguistique que pour le peuple. Le pays légal, c’est-à-dire les électeurs censitaires, constitue un bloc francisé, aussi étroitement uni par la langue qu’il parle que par le privilège politique dont il jouit.

La généralisation de l’emploi du français contraste d’ailleurs avec l’indigence de la vie intellectuelle dont il est l’organe. De 1815 à 1830, la littérature se réduit à de pâles imitations de l’école de Delille. C’est un simple délassement d’amateurs ou de professeurs de rhétorique. Nul accent original, nulle inspiration, nulle vigueur de pensée. Du mouvement romantique qui déjà s’affirme si brillamment en France, les versificateurs belges semblent tout ignorer. Ils riment conformément aux modèles surannés du XVIIIe, et cet archaïsme accentue encore leur puérilité. Quelques-uns y déploient d’ailleurs, comme Raoul, comme Lesbroussart, comme de Stassart, comme de Reiffenberg, une virtuosité qui fait mieux ressortir la platitude de leurs émules. Au reste, cette littérature scolaire est en

  1. P. Bergmans, Étude sur l’éloquence parlementaire belge sous le régime hollandais (Bruxelles, 1892).
  2. Em. Dony, L’Athénée de Tournai, p. 24.