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CONTINUATION DE L’INFLUENCE FRANÇAISE

goût pour les études sérieuses. Ni bibliothèques publiques, ni bibliothèques privées. Ajoutez à cela que la francisation des classes supérieures leur inspirait un dédain frivole pour la langue et la littérature néerlandaises, que le clergé, par crainte du calvinisme, s’en détournait autant qu’elles[1] et que, grâce à cette double prévention, le flamand dégradé à l’état de patois, était abandonné aux amusements surannés des chambres de rhétorique. En 1819, le professeur Schrant écrit que Gand, au point de vue intellectuel, est en retard sur un village de Hollande[2]. Et certainement, dans un certain sens, il a raison, parce qu’il compare Gand à Leyde ; mais il a tort aussi parce que cette comparaison n’est pas de mise et que la faire c’est précisément montrer que l’on se trompe sur la situation.

Pour l’apprécier exactement, il ne suffisait pas de la constater, il fallait s’en rendre compte. C’était une double erreur de l’expliquer tout entière par l’intransigeance confessionnelle du clergé et par la frivolité des « fransquillons ». Elle était le résultat et d’une évolution séculaire et d’un choc brusque. La vogue dont jouissait le français n’était pas un fait nouveau. Dès le XIIe siècle, il avait peu à peu gagné droit de cité dans les provinces flamandes, où il était devenu, pour les classes supérieures, une seconde langue nationale. Son expansion n’avait nui en rien à la culture du flamand. Deux littératures avaient grandi côte à côte, celle-ci romane, celle-là germanique, aussi longtemps que la civilisation nationale était demeurée saine et robuste. Mais les guerres religieuses du XVIe siècle et le déchirement des Pays-Bas avaient amené une décadence dont la langue flamande eut surtout à souffrir. Elle tomba au rang d’une langue provinciale parce que le clergé catholique, pour empêcher l’infiltration de l’hérésie triomphante dans les Provinces-Unies, eut soin de couper toutes les communications intellectuelles que la Belgique eût pu entretenir avec celles-ci. Elle ne fut plus qu’un moyen de ne pas correspondre avec le

  1. Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 611.
  2. Ibid. 1815-1825, t. II, p. 211.