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LA BELGIQUE DE 1815 À 1830

tions de bienfaisance sont autorisées, à condition de fonctionner sous le contrôle de l’autorité municipale[1]. Bref, conformément à l’esprit censitaire qui l’anime, le gouvernement ne fait rien pour les classes laborieuses, mais aussi, conformément à ses principes libéraux, il ne se croit pas le droit de rien faire pour elles. La théorie confirme la conduite que conseille l’intérêt. Le travail étant accessible à tous, c’est aussi le travail qui doit être le seul recours du pauvre. Le rôle de la bienfaisance publique se borne à l’empêcher de mourir de faim si par malheur ou par sa faute il se trouve sans emploi.

Les vrais bienfaiteurs de la société sont donc les industriels par cela seul qu’ils attirent les misérables vers leurs ateliers. En conséquence, le vrai remède contre la pauvreté est d’intensifier la production. On ne s’avise pas que c’est un cercle vicieux que de prétendre abolir la misère en suscitant des fabriques dont la prospérité sera d’autant plus grande que les travailleurs seront plus mal payés. Ils le sont très mal en effet. Vers 1820, on estime que le gain moyen d’un ouvrier belge correspond à la moitié de celui d’un ouvrier anglais. Ajoutez à cela que l’impôt pèse surtout sur les classes pauvres, puisqu’il consiste pour la plus grande partie en perceptions sur le commerce et les denrées alimentaires. À partir de 1822, la mouture et l’abatage ont encore empiré leurs conditions d’existence en faisant hausser les prix du pain et de la viande[2].

Néanmoins, si elles sont malheureuses et mécontentes, on ne surprend chez elles aucun esprit de révolte. Il semble bien que le babouvisme, dont on avait distingué quelques traces sous le Directoire, ait complètement disparu. Les travailleurs sont pieux, obéissants, résignés à leur sort. Ils n’ont ni l’idée, ni les moyens de s’organiser. C’est tout au plus si de loin en loin, en dépit de la loi, ils se laissent entraîner à quelque grève mal préparée et impitoyablement réprimée[3]. Il faudra attendre

  1. Règlements de Gand, t. III, p. 314.
  2. Il faut ajouter que l’agglomération des gens de la campagne venant chercher du travail dans les fabriques urbaines depuis que l’introduction des mécaniques restreint de jour en jour le domaine de l’industrie rurale à domicile, provoque dans les villes une hausse des loyers. Lejear, loc. cit., p. 145.
  3. Exemples dans P. Claeys, Mémorial de la ville de Gand, p. 331, 404, 407