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INTRODUCTION

aucun temps on n’en a vu de semblable, il faudrait que le pouvoir fût doué d’une force et d’un prestige correspondants à la tâche gigantesque qui lui est imposée. Or, on l’a énervé par défiance. Toute l’administration lui échappe. Elle appartient tout entière à des autorités électives sur lesquelles il n’a aucune prise et qui, faute de direction, s’entrechoquent et s’agitent dans l’incohérence. Manifestement on a trop compté sur la bonté naturelle des hommes. Joseph II s’en amusait et raillait l’Assemblée nationale qui remontait, disait-il, jusqu’à Adam pour trouver les vrais principes du gouvernement.

Passe encore si la France avait pu se livrer sans péril à l’expérience formidable qu’elle tentait. Mais à partir du printemps de 1792, elle est en guerre avec l’Autriche, avec la Prusse, et bientôt avec l’Europe entière. Et alors se dévoile dans toute sa gravité la faiblesse du pouvoir central. L’impuissance du roi fait celle de l’armée, et cette impuissance, en même temps qu’elle les incline à s’entendre avec l’ennemi, les discrédite dans la nation. En revanche, sous la menace de l’étranger, le patriotisme se réveille. Le Français réapparaît sous l’homme libre. Paris, qui depuis si longtemps déjà dirige l’opinion, assume la tâche de sauver la France et avec elle la Révolution. Jusque-là, celle-ci n’avait été qu’humaine, et voici qu’elle devient française. La souveraineté du peuple proclamée en théorie va devenir la plus terrible des réalités, car dans la crise qui l’assaille, il ne peut plus être question d’énerver le pouvoir sous prétexte de garantir la liberté des citoyens. Le salut public doit l’emporter maintenant sur toute autre considération. Ce qu’il faut à la France menacée sur toutes ses frontières par l’invasion et au dedans d’elle-même par l’insurrection, c’est un pouvoir ramassé, centralisé, capable des réactions rapides qui sont indispensables, ayant la force, ne voyant que le but à atteindre et y allant à travers tout. L’ennemi intérieur sera abattu comme l’ennemi extérieur repoussé. Plus de monarchie, puisque le roi conspire contre la nation. La République est proclamée et, pour se défendre, elle a recours à la dictature jacobine. La passion politique et la passion nationale s’exaltent. Pour