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L’AMALGAME

Mais ce n’était plus en stadhouder qu’il revoyait sa patrie. La bourgeoisie, après la tentative avortée de la République batave, abdiquait dans ses mains. C’est en qualité de souverain (souverein vorst) qu’il allait rétablir l’indépendance nationale. En l’acclamant, d’ailleurs, ses compatriotes ne se doutaient pas qu’il arrivait en mandataire des Puissances et que la tâche qu’il avait assumée était beaucoup plus européenne que hollandaise. Moins d’un an après son débarquement, sans que Belges et Hollandais eussent été consultés, il prenait, sous le nom de Guillaume Ier, la couronne de roi des Pays-Bas.

La mission qui lui incombait était grosse de difficultés et de périls. Le succès en devait dépendre essentiellement de lui-même puisque, dans le gouvernement tel que l’avait réglé la Loi fondamentale, le moteur suprême était la personne même du monarque.

Qu’il se fît une haute idée de ses devoirs, qu’il fût décidé à les accomplir, qu’il identifiât l’intérêt de l’État avec celui de ses sujets, que sa sincérité fût entière quand il leur promettait de les considérer comme une seule famille, sans distinction de religion ou de nationalité, bref qu’il voulût traiter avec la même bienveillance et la même justice Belges catholiques et Hollandais protestants, durant les quinze années de son règne, sa conduite n’a cessé de l’attester. Rien n’est plus digne de respect que ses intentions, et s’il a certainement une grande part de responsabilité dans la catastrophe où finalement il sombra, du moins faut-il lui rendre cette justice que cette responsabilité fut involontaire ou, si l’on veut, inconsciente. Avec plus de génie, plus de souplesse ou plus d’énergie, eût-il pu d’ailleurs accomplir l’œuvre dont il était chargé ? Elle dépassait, semble-t-il, les forces humaines. Tout ce que l’on peut dire, c’est que son caractère et l’éducation qu’il avait reçue ne laissèrent pas de contribuer à son échec.

C’était un honnête homme et, à bien des égards, un homme intelligent : ce n’était pas un homme supérieur. Les influences qui avaient agi sur lui étaient surtout des influences prussiennes. Il s’était laissé dominer par elles et la conception qu’il se faisait du pouvoir royal était tout à la fois absolutiste