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LA SITUATION INTELLECTUELLE ET MORALE

tence et on acceptait cette situation sans protester. D’elle-même, la population s’inclinait au but et il était inutile de la contraindre. Sans doute, dans les campagnes et dans beaucoup de petites villes, la langue flamande était seule ou presque seule en usage et il ne pouvait être question de l’imposer aux écoles dont les maîtres, pour la plupart, n’en connaissaient pas d’autre. Mais les préfets encouragèrent par des récompenses les instituteurs qui ouvriraient des leçons de français, et leurs instructions s’accordant aux vœux des parents, le succès répondit tout de suite à leurs efforts. Dès 1804, Viry, dans la Lys, se réjouit des progrès accomplis. La langue française se répand, dit-il, en même temps que les modes françaises. Les fermiers désirent la faire apprendre à leurs enfants[1]. Dans les écoles de filles surtout, elle occupe une grande partie des programmes. Les instituteurs formés par les écoles normales la connaissent tous et se font gloire de l’enseigner. Incontestablement, ce qui nuit à sa diffusion parmi le peuple ce n’est pas la répugnance à l’apprendre, c’est le trop petit nombre des écoles et leur fréquentation insuffisante.

En revanche, dans les collèges officiels et naturellement dans les lycées, elle règne en maîtresse, et les collèges libres suivent l’exemple. Si on y enseigne encore le flamand, c’est à titre de seconde langue et presque de langue étrangère. La génération qu’ils ont formée de 1800 à 1814 a été élevée exclusivement en français, et il suffit de noter ce fait pour se rendre compte de la francisation rapide de la bourgeoisie.

L’administration ne manque pas d’accélérer le mouvement. Peu à peu, le flamand est exclu de toutes les positions qu’il occupait. En 1800, les fonctionnaires de l’enregistrement demandent, en vue d’éviter les fraudes, que tous les actes qui leur sont soumis soient exclusivement rédigés en français et, le 13 juin 1803, un arrêté leur donne satisfaction, tout en tolérant que les officiers publics puissent annexer aux expéditions officielles une traduction dans l’idiome du pays. Encore cette concession tombe-t-elle bientôt en désuétude. Dans les

  1. Mémoire statistique du département de la Lys, p. 54 et suiv.