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LA SITUATION INTELLECTUELLE ET MORALE

devaient employer les livres adoptés par la Convention, faire observer le décadi, amener les enfants aux fêtes républicaines et leur apprendre à honorer le nom de citoyen. Libre à eux d’enseigner la religion, pourvu qu’ils s’abstiennent soigneusement de la confondre avec le « fanatisme » et « l’aristocratie ». Le but essentiel était d’inspirer l’amour des institutions républicaines, et en l’éclairant, de former l’esprit public.

Mais, à part un bien petit nombre de démocrates, ces institutions apparaissaient trop haïssables aux Belges pour qu’ils n’envisageassent point avec répugnance sinon avec horreur l’obligation d’y faire initier leurs enfants. Ils préféraient les priver d’écoles plutôt que de les confier à des écoles qu’ils réprouvaient et qu’à partir de 1797 la persécution religieuse leur rendit plus abominables encore. En fait, la situation demeura après la loi de brumaire ce qu’elle était auparavant. On n’institua pas ou on institua à peine des écoles officielles. Surtout, les municipalités se gardèrent presque toutes de surveiller les écoles privées et quand elles les surveillèrent, ce fut pour les couvrir d’une protection à l’abri de laquelle leurs maîtres purent continuer presque toujours à enseigner, au lieu des principes républicains, les principes religieux. Arrivait-il que les Commissaires du Directoire en ordonnassent la fermeture, on obéissait sans que l’enseignement public en profitât. Presque personne ne se présentait pour faire partie des jurys scolaires chargés de choisir les instituteurs.

Ceux-ci d’ailleurs, plus insuffisants encore par leur qualité que par leur nombre, contribuaient à jeter le discrédit sur l’enseignement officiel. Il eût dû être un modèle. En réalité, il était au moins aussi lamentable que celui des écoles libres, où se perpétuait, à la fureur impuissante des autorités, l’ignorance et l’esprit de « catéchistes superstitieux ». En 1801, à Liège, on ne comptait que trois instituteurs primaires. À Bruxelles, les écoles municipales n’étaient fréquentées que par trois cents enfants environ[1].

  1. A. Sluys, L’enseignement en Belgique sous le régime français, p. 25 (Bruxelles 1898) ; Geschiedenis van het onderwijs in België tijdens de fransche overheersching en onder de regeering van Willem I, p. 95 et suiv. (Gand, 1913.)