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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

abondante de profits. Du moins la Convention estimait-elle en 1794 que la Belgique s’était enrichie durant cette courte période d’un milliard en numéraire, et rien ne permet de croire que, dans son ensemble, cette évaluation soit inexacte[1]. Le retour des Autrichiens après Neerwinden ne modifia pas la situation. Les alliés furent sans doute des hôtes encombrants et désagréables, mais ils payaient et il n’apparaît pas que l’on se soit plaint d’avoir été appauvris par leur séjour. En somme, quand la bataille de Fleurus ramena les Français en Belgique, tout semble indiquer que le capital national était encore intact.

Mais on a déjà vu que la République était décidée cette fois à exploiter les ressources de sa conquête. Elle le devait sous peine de périr. Son crédit était à bout et l’on se demande si, vaincue à Fleurus, elle eût pu continuer la guerre. Ce fut pour elle une nécessité inéluctable que de sacrifier la Belgique au relèvement de ses finances et à l’entretien de ses armées. Tout ce que le pays possédait fut considéré comme butin de guerre. Jamais encore aucune occupation n’avait eu pour conséquence une spoliation aussi complète, aussi cruelle et d’ailleurs aussi imprévoyante. Visiblement on ne songea tout d’abord qu’à prendre et à tout prendre, parce que l’on avait besoin de tout. Le Comité de Salut Public agit comme un affamé qui se jette sur une table bien servie et la dépouille gloutonnement. Aucune préoccupation de l’avenir. On ne pense qu’au présent et à profiter de la chance qui s’offre. La Belgique est mise non pas même en coupe réglée, mais au pillage. Matières premières, produits fabriqués, objets d’art, tout y est réquisitionné pêle-mêle et envoyé en France ou aux armées. Le numéraire s’écoule du pays, chassé par le cours forcé des assignats. Le maximum de Lille brutalement imposé tue le commerce, arrête l’approvisionnement des marchés et plonge la population des villes dans la disette. Aux spoliations officielles s’ajoutent les rapines privées des centaines d’em-

  1. Aulard. Recueil des actes du Comité de Salut Public, t. XV, p. 142. Ceci est confirmé par le fait qu’en 1793, le pays regorge d’argent. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 281.