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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

sont rudimentaires. Le pays ne possède aucune banque de commerce : il dépend entièrement d’Amsterdam à cet égard. Ajoutez à cela que les corporations de métiers et les « nations » entravent les progrès de l’industrie capitaliste. Le gouvernement ne se fait pas faute cependant de rogner autant qu’il le peut leurs privilèges. Mais il importe d’être prudent, car elles interviennent et dans la constitution des magistrats urbains et dans celle des États provinciaux, où leur opposition peut être et en fait est souvent très gênante. Joseph II, en 1787, a voulu les supprimer sans y réussir.

Néanmoins, le mouvement qui pousse la société dans la voie nouvelle de la liberté économique et du capitalisme est trop puissant pour qu’on l’arrête. Ni la fermeture de l’Escaut, ni le protectionnisme français, ni la jalousie hollandaise, ni le conservatisme des riches, ni l’esprit réactionnaire des métiers ne parviennent à contrecarrer son expansion. La seconde moitié du XVIIIe siècle voit se former en Belgique comme en France cette nouvelle classe sociale d’où est sortie la bourgeoisie moderne. Presque tous parvenus, les hommes qui la composent sont animés de ce génie d’entreprise impatient de toute tradition et de toutes entraves, qui est proprement l’ « esprit capitaliste ». Entrepreneurs, manufacturiers, spéculateurs, ils aspirent tous à une réforme qui leur permettra l’usage illimité de cette liberté économique dont les physiocrates prêchent la bienfaisance. Et l’État leur prête ouvertement son appui. Ce que Turgot fait pour eux en France, Cobenzl et Nény cherchent à l’imiter en Belgique, en attendant que Joseph II prétende les dépasser tous.

Au début, il a pu compter sur l’adhésion des hommes nouveaux, des nouveaux riches qui, autant que lui, condamnaient le passé. Et quand a éclaté la Révolution brabançonne, ils n’ont abandonné l’empereur que pour se ranger dans le parti vonckiste, c’est-à-dire dans le parti qui, tout en s’insurgeant contre le despotisme éclairé, n’en aspirait pas moins à une transformation « libérale » de la société[1]. L’action que

  1. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 481.