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EFFETS DU 18 BRUMAIRE EN BELGIQUE

l’industrie qui faisait naître la bourgeoisie moderne préludait en même temps à la prolétarisation des travailleurs.

Au contraste juridique des privilégiés et des non-privilégiés se substituait, en préparant à l’avenir de nouveaux problèmes, celui des riches et des pauvres. Sous l’armature du despotisme impérial s’esquissaient les premières lignes du régime censitaire qui devait lui succéder. Parallèlement, l’Église s’accommodait à l’État moderne. Elle aussi, dégagée du passé, rompait son alliance avec l’Ancien Régime. Mais entre elle et le pouvoir civil qui avait cru résoudre les conflits religieux en la séparant de lui, en lui enlevant l’instruction et la bienfaisance et en s’imprégnant d’un caractère purement laïque, la lutte n’allait pas plus cesser qu’elle ne devait le faire dans l’ordre social. Elle allait seulement changer de terrain et de méthode, si bien que la période napoléonienne, en stabilisant les conquêtes de la Révolution, marqua en même temps les positions où s’affronteraient à l’avenir les intérêts et les principes dont les poussées, sans cesse changeantes, déterminent le mouvement de l’histoire.

I

Le coup d’État du 18 brumaire (9-10 novembre 1799) ne semble avoir produit tout d’abord aucune émotion en Belgique. La nation le subit comme elle avait déjà subi tant de « journées » révolutionnaires. Courbée sous la domination étrangère, il devait lui être fort indifférent que celle-ci lui fût imposée par trois consuls plutôt que par cinq directeurs. Depuis sept ans, elle avait éprouvé de trop amères désillusions pour témoigner au nouveau pouvoir sous lequel elle allait vivre, cette confiance que Sieyès réclamait pour lui. D’ailleurs la guerre durait encore et les succès des alliés permettaient d’entrevoir l’affranchissement. Il fallut les foudroyantes victoires de Moreau à Ulm et de Bonaparte à Marengo, puis la paix de Lunéville (9 février 1801) par laquelle l’Autriche, une fois de plus, cédait les Pays-Bas à la France, pour dissiper les derniers espoirs. Le triomphe de la