Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore l’attention d’en dérober la connoissance à madame d’Albi, dont la fierté eût été extrêmement offensée de la rivalité, et qui ne me l’eût jamais pardonnée.

Quelque nouvelle que fût pour moi la société de madame Pichon, j’en faisois quelquefois la comparaison avec celles où j’avois vécu, et je fus bientôt convaincu que le monde ne diffère que par l’extérieur, et que tout se ressemble au fond. Les tracasseries, les ruptures et les manèges sont les mêmes. J’ai remarqué aussi que les marchands qui s’enrichissent par le commerce, se perdent par la vanité. Les fortunes que certaines familles ont faites, les portent à ne point élever leurs enfans pour le commerce. De bons citoyens et d’excellens bourgeois, ils deviennent de plats anoblis. Ils aiment à citer les gens de condition, et font sur leur compte des histoires qui n’ont pas le sens commun. Leurs femmes, qui n’ont pas moins d’envie de paroître instruites, estropient les noms, confondent les histoires, et portent des jugemens véritablement comiques pour un homme instruit. Ces mêmes femmes, croyant imiter celles du monde, et pour n’avoir pas l’air emprunté, disent les mots les plus libres, quand elles sont dans la liberté d’un souper de douze ou quinze personnes. D’ailleurs elles sont solides dans leurs dépenses, elles boi-