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je l’aurois détournée d’une pareille idée ; qu’une femme raisonnable, pour peu qu’elle ait soin de sa réputation, ne devoit jamais se trouver dans ces sortes d’endroits, et que les parties les plus secrètes sont les plus malignement interprétées, lorsqu’on vient à les découvrir : enfin il n’y eut point de reproches que je n’essuyasse à ce sujet.

C’étoit ainsi que je passois ma vie avec madame d’Albi ; il sembloit qu’elle eût dix âmes différentes, dont il y en avoit neuf qui faisoient mon supplice. J’étois toujours prêt à la quitter dans ces momens d’orage qui étoient fort fréquens ; mais sa figure, son esprit, et un caprice plus favorable de sa part, me ramenoient bientôt vers elle. Cependant la tête m’auroit infailliblement tourné, si, pour adoucir la rigueur de ma situation, je n’eusse trouvé une femme qui, sans raffiner sur le plaisir, s’y livroit naïvement, et s’inspiroit de même.

C’étoit une riche marchande de la rue St.-Honoré, qui se nommoit madame Pichon. J’eus occasion de la connoître, parce que M. Pichon venoit de faire l’habillement de mon régiment. Les marchands de Paris sont flattés de donner des repas aux officiers des régimens qu’ils fournissent ; je me rendis aux instances de M. Pichon, qui voulut absolument me donner à souper. Je m’y étois engagé par complaisance,