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croyois que l’indolence d’un état languissant étoit de l’amour ; il n’étoit réservé qu’au signor Carle de me tirer de l’erreur où j’étois.

» Il y a quelques mois que je le trouvai au Ridotte. Sa vue me fit un cœur nouveau : un penchant invincible m’entraîna sans réflexion ; je profitai de l’heureuse liberté du masque pour lui parler ; son esprit me charma autant que sa figure. L’envie de lui plaire m’avoit engagée à lui faire des avances ; je craignis, après l’avoir quitté, qu’il ne me confondît avec les coquettes et les courtisanes. Ces réflexions m’occupèrent toute la nuit. L’amour, qui donne et détruit les idées dans le même instant, me faisoit redouter son insensibilité, ou flattoit mon espoir. J’avois chargé un de mes gondo liers de s’informer avec exactitude de celui qui étoit déjà l’idole de mon cœur ; j’appris dès le lendemain son nom, son pays, et qu’il étoit depuis un mois à Venise. Dans la conversation que j’avois eue avec lui, j’avois reconnu avec chagrin qu’il étoit François, je n’en devins que plus sensible au désir de le fixer. J’appris avec transport qu’il étoit libre, et qu’il n’avoit aucun commerce avec les malheureuses dont notre ville est remplie. Ces idées me conduisirent le jour même au Ridotte, je l’y trouvai. Je m’étois aperçu la veille qu’il m’avoit quittée