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de condition ; je m’imaginois que tout le monde s’en apercevoit, et lisoit dans mes yeux mon bonheur et ma gloire. Cette idée m’empêcha d’en parler à mes amis ; mais j’en fus très-souvent tenté. Peu de temps après je trouvai que la marquise ne m’avouoit pas assez dans le public, et qu’elle n’alloit pas assez souvent aux spectacles, où j’aurois pu, sans prononcer l’indiscrétion, mettre mes amis au fait de mon bonheur. C’étoit en vain qu’elle me représentoit le charme du mystère ; je n’étois inspiré que par les sens et la vanité, et je croyois avoir satisfait à toute la délicatesse possible, quand j’avois rempli ses désirs et les miens. L’hiver ayant rassemblé tout le monde à Paris, la marquise, pour rompre la solitude qu’elle voyoit que je ne pouvois soutenir, donna plusieurs soupers. Parmi les femmes qui se rendoient chez elle, il y en eut une qui me fit beaucoup d’agaceries, et j’y répondis avec assez de vivacité. Madame de Valcourt avoit trop d’expérience pour ne pas l’apercevoir. Elle m’en fit ses plaintes, que je reçus assez mal. Je lui dis qu’il étoit bien singulier qu’elle me contraignît au point de ne pouvoir ni parler ni m’amuser même avec ses amies. La jalousie enflamma la marquise ; elle ne ménagea plus rien ; bientôt elle afficha publiquement le goût qu’elle avoit pour moi, et bientôt elle le ressentit avec un emportement qu’elle ne