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besoin de rivalité pour abuser d’un pareil secret. Elle se désoloit, et me dit qu’elle vouloit partir sur-le-champ pour Paris, sans oser retourner au château.

J’employai toutes les raisons imaginables pour la calmer, quoique j’eusse besoin moi-même d’un pareil secours. Je la rassurai sur la probité de madame de Selve. En effet, je craignois son ressentiment contre moi ; mais j’étois sûr de sa discrétion. Je fis comprendre à madame Dorsigny que notre départ en feroit plus penser que madame de Selve n’en pourroit dire.

Nous retournâmes au château avec la crainte et l’abattement de deux criminels. Avant que madame de Selve m’eût formé un cœur nouveau, j’aurois peut-être paru avec un air de triomphe. Il étoit déjà tard, la compagnie étoit rassemblée, et l’on étoit près de se mettre à table. Madame Dorsigny dit qu’elle se trouvoit indisposée, et qu’elle avoit besoin de repos. Le maître de la maison crut qu’il étoit de la politesse de la presser de se mettre à table ; et, quoiqu’elle eût désiré d’être seule, comme le trouble et la crainte étoient alors les principes de toutes ses actions, elle n’osa le refuser. Madame de Selve, qui savoit la cause de l’indisposition de madame Dorsigny, n’épargna rien pour la rassurer. Il n’y eut point de prévenances qu’elle ne lui fît, point