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grandes attentions étoit d’assortir les personnes qui se convenoient. Il me débita, à ce sujet, beaucoup de maximes de savoir vivre, et il en étoit encore sur les éloges de sa rare prudence, lorsque je vis entrer madame Dorsigny. J’en fus charmé, et je trouvois déjà que mon parent, pour un homme qui vivoit à la campagne, avoit des attentions assez délicates ; mais ce plaisir ne fut pas de longue durée, car un instant après on annonça madame de Selve. Mon maudit campagnard s’étoit informé des personnes que je voyois le plus fréquemment, et n’avoit pas manqué de les prier ; et, comme toutes celles qui vivent dans le monde se connoissent toujours assez à Paris pour accepter un souper, il avoit rassemblé huit ou dix personnes.

Je ne me suis jamais trouvé de ma vie dans une situation aussi cruelle. Je ne pouvois pas me dispenser de faire à madame de Selve et à madame Dorsigny un accueil qui convînt à la conduite que je tenois dans le particulier avec l’une et l’autre. La supériorité du rang de madame de Selve sur sa rivale m’autorisait bien à rendre à la première tous les honneurs de préférence ; mais, indépendamment des égards dus à la condition, ceux qui partent du cœur ont un caractère distinctif, et toutes deux avoient droit d’y prétendre. D’ailleurs la petite madame Dorsigny ne