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sagacité du cœur qui est la mesure de notre sensibilité.

Quelques jours après, je fus encore engagé dans un souper. Les premiers reproches que m’avoit faits madame de Selve, m’inquiétoient en l’abordant ; j’en craignois de nouveaux, et je me trouvai fort soulagé de ce qu’elle ne m’en fit point. Cependant mes absences devinrent plus fréquentes ; mais je ne manquois jamais d’aller souper avec elle que je n’en sentisse quelques remords, et on ne les sent point sans les mériter ; quand on s’examine bien scrupuleusement, on en trouve les motifs. En effet, madame de Selve étoit presque toujours seule. Comme je lui avois marqué que je ne trouvois rien de si odieux que ces visites qui contraignent les caresses et les épanchemens des amans, elle s’étoit défaite insensiblement du peu de monde qu’elle voyoit avant de me connoître. Je devois donc partager une solitude où elle ne s’étoit réduite que pour me plaire. Après les premiers reproches que madame de Selve me fit avec douceur, elle ne m’en fit plus aucuns ; mais je remarquons qu’elle avoit l’esprit moins libre, et l’humeur un peu mélancolique. Je lui en demandois quelquefois la raison, elle me répondoit toujours qu’elle n’avoit rien ; et, comme j’insistais en lui demandant si elle avoit quelque sujet de se plaindre de