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étois parti, et dans la résolution de presser mon mariage avec madame de Selve. Attaché par l’amour, le plaisir et la reconnoissance, j’aurois voulu imaginer de nouveaux liens pour m’unir plus étroitement avec elle. Nous nous revîmes avec des transports qui ne se peuvent comprendre que par ceux qui les ont éprouvés. Je passai un an dans une ivresse de plaisir ; l’amour en étoit la source, et ils ajoutoient encore à l’amour. Je ne voyois que madame de Selve ; j’étois tout pour elle, et sans elle tout étoit étranger pour moi. Pourquoi faut-il qu’un état aussi délicieux puisse finir ? Ce n’est point une jeunesse inaltérable que je désirerois ; elle est souvent elle-même l’occasion de l’inconstance. Je n’aspire point à changer la condition humaine ; mais nos cœurs devroient être plus parfaits, la jouissance des âmes devroit être éternelle.

Les principes de mon bonheur étoient toujours les mêmes, et cependant il s’altéra, puisque je commençai à le moins sentir. Les plaisirs, qui m’avoient entraîné autrefois avec tant de violence, m’étoient devenus odieux quand ils m’arrachoient d’auprès de madame de Selve. Insensiblement je les envisageai avec moins de dégoût ; ils me parurent nécessaires pour empêcher la langueur de se glisser dans le commerce de deux amans. La constance n’est pas loin de s’altérer