discours qu’on pourroit tenir, pourvu que je fusse heureux. Je rougissois bientôt d’écouter des sentimens si peu dignes de ma naissance et de ma profession. Je passai toute la nuit dans ces agitations.
Je retournai le lendemain, comme à mon ordinaire, chez madame de Selve. Je la trouvai aussi affligée et plus abattue que la veille. J’aurois triomphé de ma douleur ; mais je ne pouvois pas supporter la sienne. J’oubliai tous les sentimens d’honneur qui m’a voient soutenu jusque-là ; ils me parurent une barbarie, et je résolus de les sacrifier à la tranquillité de madame de Selve. Je me jetai à ses genoux ; je lui dis que je ne pouvois pas résister à ses larmes ; que, pour les faire cesser, j’allois abandonner le service, trop content de vivre pour elle. Je ne doutois point que ce discours ne rétablît le calme dans son âme. Madame de Selve me regarda quelque temps sans rien dire, et, m’embrassant tout d’un coup avec transport, ce qu’elle n’avoit jamais fait : Je sens, me dit-elle, combien il vous en coûte pour me faire le sacrifice que vous m’offrez ; mais j’en serois indigne, si j’étois capable de l’accepter. Oui, ajouta-t-elle, je suis trop contente du pouvoir que l’amour me donne sur vous ; je vous rends à votre cœur, je vous rends à vos devoirs, et c’est vous rendre à vous-même. Je fus si transporté d’admi-