lui faire adopter les miennes, qui sans doute n’étoient pas des plus justes. Les amans seroient trop heureux que leurs désirs fussent entretenus par des obstacles continuels ; il n’est pas moins essentiel, pour le bonheur, de conserver des désirs que de les satisfaire.
Nous vivions dans un commerce délicieux, lorsqu’il se répandit un bruit de guerre. Il fallut que je songeasse à joindre mon régiment. Je sentis tout ce qu’il m’en alloit coûter pour me séparer de madame de Selve ; mais rien n’approche de la douleur que lui causa cette nouvelle. En préparant mon départ, je n’osois pas lui en parler de peur de l’affliger encore ; mais je ne pouvois pas m’empêcher d’y paroître sensible. Elle le remarqua, et me dit que son état étoit bien différent du mien ; que je n’avois que les inquiétudes ordinaires de l’absence ; au lieu qu’elle alloit être dans les alarmes les plus cruelles. Elle ne m’en dit pas davantage ; mais son silence et ses larmes m’en dirent plus qu’elle n’auroit pu faire. Je n’ai jamais vu de douleur plus vive ; j’en fus pénétré. Après avoir inutilement essayé de la consoler, je me retirai pour me livrer moi-même librement à ma douleur. Je réfléchis sur l’honneur chimérique auquel j’immolais le bonheur de ma vie. Ces idées m’agitèrent long-temps. Je fus tenté de tout abandonner, et de m’inquiéter peu des