Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux des amans. Ce genre de vie étoit bien nouveau pour moi ; j’étois accoutumé à moins d’estime et plus de liberté. Je voulois quelquefois tenter de faire approuver à madame de Selve mes anciennes habitudes avec les femmes. Je lui disois que, lorsqu’on avoit donné son cœur, on ne devoit pas refuser à un amant des faveurs dont le prix est moins précieux, quoique le plaisir en soit plus vif. Je lui présentois mes raisons sous toutes les faces possibles, et je lui débitois enfin ces maximes et tous ces lieux communs que j’avois autrefois employés avec succès avec tant de femmes. Ces raisonnemens m’étoient alors inutiles, parce que madame de Selve ne se conduisoit pas sur les mêmes principes que celles que j’avois rencontrées.

Elle me répondoit, sans s’émouvoir, quelquefois même en plaisantant, que cet usage, tout ridicule qu’il me paroissoit, décidoit de l’honneur et même du bonheur d’une femme ; que son cœur m’étoit aussi favorable que le préjugé m’étoit contraire, quoique les hommes semblassent même l’approuver, puisqu’on ne les voyoit pas rester attachés à une femme qui leur avoit sacrifié ces mêmes préjugés. Je me sentois forcé d’approuver des raisons qui me déplaisoient infiniment ; mais il falloit bien me soumettre aux idées de madame de Selve, puisque je ne pouvois pas