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de se livrer aux transports d’un amant tendre et passionné, ou d’être asservie aux bizarreries d’un mari odieux. Madame de Selve convenoit de bonne foi avec moi qu’elle n’avoit jamais eu d’amour pour son mari ; que la disproportion d’âge et d’humeur ne le permettoit pas ; mais, à peine avouoit-elle qu’elle n’avoit pas été parfaitement heureuse ; et, comme j’insistais sur les tourmens qu’elle avoit éprouvés de la jalousie du comte de Selve, elle me répondit simplement qu’une femme raisonnable ne devoit jamais faire d’éclat à ce sujet ; que c’étoit à elle à guérir la jalousie par sa conduite, et même à la pardonner en faveur de l’amour qui en est le principe. Enfin madame de Selve ne prononça jamais un mot dont la mémoire de son mari pût être offensée. Tout ce qui ajoutoit à mon respect pour madame de Selve, augmentait aussi mon amour. J’étais presque sûr que l’amitié qu’elle disoit avoir pour moi, n’étoit plus qu’un prétexte pour couvrir l’amour que j’étois assez heureux pour lui avoir inspiré. Je me hasardai enfin d’en obtenir l’aveu.

Un jour que par ses discours et sa confiance, elle me donnoit les marques de la plus tendre amitié : Pardonnez-moi, lui dis-je, madame, ma témérité ; je ne puis plus douter que vous n’ayez pour moi des sentimens plus vifs que ceux de