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homme aussi dissipé que moi pût demeurer, aussi long-temps que je le faisois, dans une maison aussi retirée et aussi peu amusante que la sienne. Cela doit vous faire voir, lui répondis je, madame, que la dissipation est moins la marque du plaisir que l’inquiétude d’un homme qui le cherche sans le trouver ; et, lorsque j’ai le bonheur de vous faire ma cour, je n’en désire point d’autre. Je ne cherchois pas, reprit madame de Selve, à m’attirer un compliment ; mais j’étois réellement étonnée que vous fussiez aussi dissipé qu’on le dit, ou que vous fussiez si prodigieusement changé. C’est à vous, madame, que je dois, lui dis-je, un changement aussi singulier ; c’est vous qui m’avez arraché à tous mes vains plaisirs ; c’est avec vous que j’éprouve les plus vifs et les plus purs que j’aie goûtés de ma vie : trop heureux si vous daigniez un jour les partager ! Madame de Selve voulut m’interrompre ; je ne lui en donnai pas le temps. J’avois jusqu’alors gardé un silence contraint. Je ne l’eus pas plutôt rompu, que je me sentis délivré du plus pesant fardeau, et je continuai avec la plus grande vivacité : Oui, madame, poursuivis-je, je sens que je vous suis attaché pour ma vie ; que tout me seroit insupportable sans vous, et que vous me tenez lieu de tout. Jusqu’ici j’ai été plongé dans les plaisirs, sans avoir véritablement