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Je jouissois donc tranquillement du bonheur de voir madame de Selve. Comme elle recevoit fort peu de monde, j’aurois trouvé aisement le moment de lui découvrir mon cœur ; mais, soit que cette facilité même m’empêchât de rien précipiter dans la certitude de la retrouver, soit que le respect qu’elle m’avoit d’abord inspiré m’imposât toujours, je n’osois hasarder cet aveu. J’avois fait des déclarations à toutes les femmes dont je n’étais pas amoureux, et ce fut dans le moment que je ressentis véritablement l’amour, que je n’osai plus en prononcer le nom. Je ne disois pas, à la vérité, à madame de Selve que je l’aimois ; mais toute ma conduite le lui prouvoit ; je m’apercevois même que mes sentimens ne lui échappoient pas. Une femme n’en est jamais offensée ; mais l’aveu peut lui en déplaire, parce qu’il exige du retour, et suppose toujours l’espérance de l’obtenir. J’imaginai que le moyen le plus sur de réussir auprès d’elle, étoit d’essayer de me rendre maître de son cœur, avant que d’oser le lui demander. Il y avoit déjà plus d’un mois que je voyois madame de Selve sur ce ton-là, avec la plus grande assiduité, et j’aurois peut-être tenu encore long-temps la même conduite, si elle ne m’eût elle-même offert l’occasion de me déclarer.

Elle me dit un jour qu’elle étoit surprise qu’un