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pagne chez un de mes amis, qui me prioit depuis long-temps de le venir voir dans une terre qu’il avoit à quelques lieues de Paris.

J’y trouvai la comtesse de Selve. Elle avoit environ vingt-trois ans, et étoit veuve depuis deux. Elle avoit été sacrifiée à des intérêts de famille en épousant le comte de Selve. C’étoit un homme âgé et d’un caractère extrêmement dur et jaloux, parce qu’il avoit toujours vécu en assez mauvaise compagnie, où l’on n’apprend pas à estimer les femmes. Comme il sentoit qu’il n’étoit pas aimable, le dépit ne l’avoit rendu que plus insupportable. La jeune comtesse faisoit, malgré sa répugnance, tout ce que la vertu pouvoit en exiger. Elle ne pouvoit pas donner son cœur ; mais elle remplissoit ses devoirs, et sa conduite la faisoit respecter, sans la rendre plus heureuse.

Je la connoissois à peine, parce qu’elle vivoit peu dans le monde ; et, lorsque le hasard me l’avoit fait rencontrer, son caractère sérieux m’avoit prodigieusement imposé. Les femmes avec lesquelles je vivois communément, n’avoient guère de rapport avec madame de Selve, qui m’avoit toujours paru trop respectable pour moi. J’étois alors dans des dispositions différentes, et je la vis avec des yeux plus favorables. Sa conversation, et le commerce plus familier qu’on a