Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voient exercer sans négliger mes affaires, et je les fis partir pour la Bretagne. Rien ne m’a donné une plus vive image du bonheur parfait que l’union et les transports de ces jeunes amans. Ils n’éprouvoient avec leur amour d’autres sentimens que ceux de la reconnoissance qu’ils s’empressoient de me marquer à l’envi l’un de l’autre. Je n’ai jamais senti dans ma vie de plaisir plus pur que celui d’avoir fait leur bonheur. L’auteur d’un bienfait est celui qui en recueille le fruit le plus doux. Il sembloit que leur état se réfléchît sur moi. Tous les plaisirs des sens n’approchent pas de celui que j’éprouvois. Il faut qu’il y ait dans le cœur un sens particulier et supérieur à tous les autres.

Je n’ai pas eu lieu de me repentir de leur avoir confié mes affaires ; mais je leur ai une obligation plus sensible et plus réelle.

Je leur dois en partie le changement qui arriva dès lors dans mon cœur. Leur état m’en fit désirer un pareil. Je trouvai un vide dans mon âme que tous mes faux plaisirs ne pouvoient remplir ; leur tumulte m’étourdissoit au lieu de me satisfaire, et je sentis que je ne pouvois être heureux, si mon cœur n’étoit véritablement rempli. L’idée de ce bonheur me rendit tous mes autres plaisirs odieux ; et, pour me dérober à leur importunité, je résolus d’aller à la cam-