Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordre ; elles ne se faisoient entendre que par leurs transports. Quoi ! disoient-elles, le ciel nous offre un bienfaiteur dont la générosité pure !… grand Dieu ! que nous sommes heureuses !… que de grâces !… Elles me prenoient les mains ; Julie me les serroit en les mouillant de larmes. La reconnoissance et la vertu la faisoient me prodiguer des caresses dont sa pudeur auroit été effrayée, si j’eusse osé les hasarder. L’innocence est souvent plus hardie que le vice n’est entreprenant.

Je fus attendri de ce spectacle ; mes yeux avoient peine à retenir mes larmes. Je les fis relever, et les obligeai de s’asseoir. Je leur imposai enfin silence ; je vis combien leur reconnoissance se faisoit violence pour m’obéir.

Je ne pouvois me lasser d’admirer la beauté de Julie. Je l’avouerai cependant, cette figure charmante ne m’inspira pas le moindre désir dont sa vertu eût pu être blessée. Un sentiment de respect pour son malheur et pour sa vertu, avoit fermé mon cœur à tous les autres.

Je leur demandai leur situation. Elles m’apprirent en détail ce que la mère m’avoit dit la veille : que son mari avoit un emploi qui les faisoit vivre, et qui étoit toute leur fortune ; que, sans cette mort précipitée, Julie alloit épouser un jeune homme dont elle étoit aimée, et qu’elle aimoit. Julie rougit, et sa mère ayant voulu