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me sentois ému ; son discours, son état, sa physionomie m’intéressoient. Je fis cependant effort sur moi-même pour lui cacher mon trouble, pour calmer le sien, et l’engager à continuer. Je lui demandai ce qu’elle désiroit que je fisse pour elle. On m’a assuré, me répondit-elle, avec un trouble nouveau, et qui paroissoit encore augmenter à chaque instant, qu’il y avoit des personnes riches qui vouloient bien avoir soin des filles qui n’ont d’autre ressource que la charité : je viens implorer la vôtre. Je sens bien, poursuivit-elle toujours en pleurant, à quelle reconnoissance j’engage ma malheureuse fille ; mais je ne puis me résoudre à la voir mourir, accablée par la misère. Ces dernières paroles furent celles qui lui coûtèrent le plus, à peine les put-elle articuler. La honte lui fit baisser les yeux ; je sentis que j’en étois autant l’objet qu’elle-même. Elle rougissoit à la fois, d’un discours humiliant pour elle, et que la nature qui se révoltait lui faisoit sans doute trouver offensant pour moi. Je pénétrai toute son âme, ses sentimens passèrent dans mon cœur ; j’essayai de la consoler, et, comme je ne me trouvois pas moi-même tranquille, je lui donnai l’argent que j’avois sur moi, et je la renvoyai pour respirer en liberté. Que le malheur rend reconnoissant ! j’eus toutes les peines un monde à me dérober à l’excès de ses remer-