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Mon valet de chambre entra un matin dans mon appartement, et me dit qu’une femme assez mal vêtue attendoit depuis long-temps que je fusse éveillé pour me parler d’une affaire qu’elle ne pouvoit, disoit-elle, communiquer qu’à moi. J’ordonnai qu’on la fît entrer, et qu’on nous laissât seuls. J’attendois que cette femme m’expliquât ce qu’elle vouloit ; mais je n’ai jamais vu d’embarras pareil au sien. Tout ce que le malheur, la honte, la misère et la vertu humiliée peuvent inspirer, étoit peint sur son visage. Elle ouvrit plusieurs fois la bouche ; la parole expiroit toujours sur ses lèvres. Son état me toucha ; je cherchai à la rassurer ; je lui marquai toute la sensibilité qui pouvoit l’encourager. Après plusieurs efforts, et, tâchant de me dérober des larmes qui sortoient malgré elle, d’une voix basse et entrecoupée, elle me dit, qu’elle étoit dans la dernière misère ; qu’elle avoit perdu son mari qui la faisoit vivre par son travail ; qu’elle avoit été obligée de vendre ce qui lui étoit resté pour payer quelques dettes ; qu’elle avoit une fille d’environ seize ans qui achevoit son malheur, par la tendresse qu’elles avoient l’une pour l’autre, et l’impossibilité où elle étoit de la faire subsister. Cette femme s’arrêta là ; les larmes qu’elle avoit tâché de suspendre, sortirent avec plus d’abondance, et lui coupèrent la voix. Je