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Enfin, lorsque la Dornal crut avoir assez fait de progrès dans mon cœur, elle se hasarda à me parler avec confiance. Elle me fit des plaintes et des reproches des discours que j’avois tenus sur son compte à Senecé, qui avoit eu la foiblesse de les lui rapporter. Je profitai sur-le-champ de l’ouverture qu’elle me donnoit ; j’en avouai plus qu’il n’en avoit dit, et j’ajoutai que la jalousie m’en avoit encore inspiré davantage. Feignant alors de ne pouvoir plus cacher mon secret, je lui dis en rougissant, et je le pouvois à plus d’un titre, que je l’avois aimée dès le premier moment ; que je n’avois pu supporter le bonheur de Senecé ; et que j’avois fait tous mes efforts pour le dégoûter et l’éloigner, n’espérant pas de pouvoir le supplanter autrement.

Je remarquai que la Dornal avaloit à longs traits le poison que je lui présentois ; ses yeux s’attendrirent ; elle me répondit qu’elle avoit été bien injuste à mon égard ; qu’elle ne pouvoit pas me blâmer ; que l’amour portoit son excuse avec lui ; qu’elle m’eût préféré à Senecé si elle eût pénétré mes sentimens ; qu’elle l’avoit sincèrement aimé ; mais que depuis quelque temps il n’en étoit guère digne, et qu’elle sentoit qu’un hommage tel que le mien étoit bien capable de la déterminer à abandonner un amant qui m’étoit si fort inférieur. Elle prononça ces derniers mots