Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûr que je vous supplanterois, sans avoir rien pour moi que la nouveauté. Senece trouva ma témérité ridicule.

Notre conversation n’eut pas d’autre suite : Senecé retourna, le soir même, souper chez la Dornal. Ce que j’avois avancé me fit naître l’idée de l’exécuter, comme l’unique moyen de détromper et de guérir mon ami. Après la première conversation que j’avois eue avec Senecé au sujet de sa maîtresse, j’avois résolu de ne lui en jamais parler, et de respecter l’erreur d’un ami, puisqu’il y trouvoit son bonheur ; mais lorsqu’il m’eut fait connoître son état, et que son indigne attachement, en le faisant mépriser, ne le rendoit pas plus heureux, je ne songeai plus qu’à l’arracher à ses fers honteux. La difficulté étoit de revoir la Dornal, le hasard y pourvut. Je l’aperçus un jour à la comédie avec Senecé dans une loge, au fond de laquelle il se cachoit ; car, il faut lui rendre justice, il rougissoit d’être avec elle. Je feignis de n’avoir reconnu que lui, et j’allai le trouver comme pour lui demander une place. Mon abord les déconcerta l’un et l’autre ; je vis, dans les yeux de la Dornal, toute la rage que ma vue lui inspiroit, et qu’elle avoit peine à cacher ; elle ne put cependant empêcher que je ne prisse la place que j’avois demandée, et que Senece n’avoit osé me refuser ; et, comme j’a-