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pas si déterminée, et ne vous croit pas si timide. Pardonnez-moi, reprit Senecé ; elle a pénétré mes craintes. Ne doutez point, dis-je alors, qu’elle ne soit capable du crime, puisqu’elle est assez indigne pour vous en pardonner les soupçons, et pour vous revoir. Si quelque chose peut vous rassurer, ce sont ses menaces. Mais il est un moyen plus simple : ne la revoyez jamais, vous n’aurez rien à redouter de sa part. Senecé soupira et rougit : Je suis, reprit-il, assez humilié pour ne pas craindre de l’être davantage. J’avoue que je n’en suis pas détaché ; je ne puis pas m’empêcher de regarder ses emportemens comme les effets de son amour ; je suis persuadé qu’elle m’aime, et l’on doit pardonner bien des choses à l’amour ; son cœur est uniquement à moi, et il n’y a personne qu’elle me préférât. Je crois, lui dis-je, que vous pouvez être assuré de sa constance, sans être soupçonné d’amour-propre. Il lui faut un amant ; elle vous a trouvé par un destin unique ; si elle vous perdoit, pourroit-elle se flatter d’un second miracle qui vous donnât un successeur ? Voilà ce qui l’attache à vous, non pas comme une amante, car elle n’est digne ni d’aimer, ni d’être aimée ; mais comme une furie qui craint de perdre sa proie. Je ne suis pas prévenu en ma faveur ; et, malgré l’horreur que je me flatte de lui inspirer, je suis