Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dornal. Vous en êtes amoureux, faites-en votre maîtresse : l’amour est un mouvement aveugle qui ne suppose pas toujours du mérite dans son objet. On n’est heureux que par l’opinion, et l’on ne dispose pas librement de son cœur ; mais on est comptable de l’amitié. L’amour se fait sentir, l’amitié se mérite : elle est le fruit de l’estime. La Dornal en est-elle digne ? Je fis alors à Senecé le portrait de sa maîtresse ; il étoit affreux, car il ressembloit. On est bien à plaindre, ajoutai-je, d’aimer l’objet du mépris universel ; mais, quand on ne sauroit se guérir d’un attachement honteux, il faut du moins s’en cacher, et il semble que vous affectiez de vous montrer partout avec elle. On vous voit ensemble aux spectacles, sans qu’elle puisse trouver d’autre compagnie que celle que vous y engagez par surprise ou par une complaisance forcée. Je ne suis point la dupe des politesses intéressées de votre maîtresse ; peut-être n’a-t-elle pris ce parti-là qu’après avoir inutilement essayé de me détruire dans votre esprit ; je serois même fâché qu’elles fussent sincères : son amitié me seroit importune, et son estime déshonorante. J’ai cru devoir vous parler avec autant de force et de franchise. D’ailleurs, comme je suis le seul de vos anciens amis qui aille dans cette maison, je serois au désespoir qu’on me soupçonnât d’approuver votre