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m’en témoignoit. On me trouva mille fois plus d’esprit qu’auparavant ; mais j’étois peu sensible à la gloire du bel esprit. Autrefois les gens de condition n’osoient y aspirer ; ils sentoient qu’ils ne prenoient pas assez de soin de cultiver leur esprit pour la mériter ; mais ils avoient une considération particulière et une espèce de respect pour les gens de lettres. Les gens de condition se sont avisés depuis de vouloir courir la carrière du bel esprit ; et, ce qu’il y a de plus bizarre, c’est qu’en même temps ils y ont attaché un ridicule. J’étois bien éloigné d’avoir un sentiment si faux ; j’ai toujours pensé qu’il n’y avoit personne qui ne dût être honoré du titre d’homme d’esprit et de lettres ; mais je ne me sentois ni talent, ni étude.

La fureur de jouer la comédie régnoit alors à Paris ; on trouvoit partout des théâtres. La société de madame de Tonins prenoit le même plaisir, et portoit l’ambition plus haut. Pour comble de ridicule, on n’y vouloit jouer que du neuf ; presque tous les acteurs étoient auteurs des pièces qu’ils jouoient. Nos représentations (car je fus bientôt admis dans la troupe) étoient d’un ennui mortel ; on se le dissimuloit ; nous applaudissions tout haut, et nous nous ennuyions tout bas. Madame de Tonins m’obligea aussi de faire une comédie. J’eus beau lui représenter com-