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l’auteur des Cours de littérature présume que Duclos a voulu les dédommager de ce qu’il n’avoit pas parlé d’elles dans ses Considérations, et a cru (ce sont les propres termes de M. de La Harpe) « que cette moitié du genre humain, qui peut-être vaut mieux que l’autre, méritoit qu’il en traitât à part ». Quoi qu’il en soit de cette conjecture, l’ouvrage de Duclos avec lequel les Mémoires pour servir à l’histoire du dix-huitième siècle ont le plus de rapports, sont les Confessions du comte de ***. Tous deux sont des romans ; tous deux sont une suite de portraits, un enchaînement d’aventures galantes arrivées à un même personnage qui en fait le récit ; tous deux sont un cadre uniquement destiné à contenir des aperçus, des dissertations et des jugemens sur les mœurs de la société, et principalement sur le genre de sentiment et de liaison qui rapproche les deux sexes ; enfin, ce qui met le comble à toutes ces ressemblances, et en est peut-être un effet, tous deux ont mérité les mêmes éloges et les mêmes reproches. Dans l’un et dans l’autre, la partie dramatique est foible, quelques situations ont paru amenées moins heureusement ou trop peu développées ; mais les caractères sont tous supérieurement tracés, les observations sont justes et fines, les réflexions ingénieuses et piquantes. Dans Duclos, le romancier est inférieur et subordonné au moraliste. Il avoit toute la sagacité, toute la pénétration qui conviennent à celui-ci ; il n’avoit peut-être pas l’imagination et la sensibilité qui sont nécessaires à l’autre. Aussi les formes du roman ne lui servoient-elles que de prétexte pour faire part au public du résultat de ses méditations philosophiques.

Il semble pourtant avoir ambitionné une fois le succès réservé à ceux qui créent des aventures touchantes et mettent en jeu les passions humaines. C’est dans la Baronne de Luz. Il y a sans doute de l’intérêt et même du pathétique ; mais le peintre de caractères y tient encore plus de place que le peintre de situations. Ce roman, comme on sait, a pour but de prouver qu’une femme peut perdre son honneur sans perdre son innocence : la vertu de madame de Luz est mise plusieurs fois de suite à cette sorte d’épreuve. On trouva dans le temps que quelques-uns de ces incidens étoient peu naturels, et le livre fut regardé comme un jeu d’esprit, comme une espèce de gageure. Duclos en fit adroitement l’apo-